La restauration de la conscience africaine

Cheikh Anta Diop : combattre par le savoir

Cheikh Anta Diop, historien, scientifique et homme politique sénégalais, a voué sa vie à la mise en valeur de l’Afrique, principalement à travers ses recherches sur l’Egypte ancienne. Ses ouvrages, dont l’incontournable Nations nègres et Culture, ont eu un impact extraordinaire sur les mouvement des Indépendances africaines, de la Conscience Noire et du panafricanisme.

20 commentaires

Pourtant, au Sénégal, Cheikh Anta Diop est méconnu, principalement des jeunes générations. Etrangement, même si l’Université de Dakar porte son nom, Cheikh Anta Diop est toujours absent du programme scolaire, ce qui fait l’objet de débats et de pétitions. Le parcours de ce combattant pour la dignité africaine ne peut pourtant que forcer l’admiration.

Cheikh Anta Diop

Né à Tiethiou, dans la région de Djourbel, le 29 décembre 1923, formé à l’école coranique puis à l’école française, Cheikh Anta Diop grandit à Dakar. Très jeune, il élabore un alphabet africain. A 22 ans, titulaire de deux baccalauréats, l’un en mathématique et l’autre en philosophie, il fait déjà preuve d’une curiosité intellectuelle particulière.

Cheikh Anta Diop débarque à Paris en 1946, pour y étudier à la Sorbonne les Mathématiques Supérieures et la philosophie, tout en poursuivant ses recherches linguistiques sur le wolof et le sérère.

La seconde guerre mondiale et son cortège d’horreurs vient de s’achever. Les camps de concentration nazis ont atteints les sommets de la barbarie. La civilisation occidentale est touchée, mortellement blessée. Mais dans les écoles, on enseigne toujours aux enfants la supériorité de la « race blanche », l’antériorité indiscutable de la civilisation occidentale. L’Afrique n’a alors d’Histoire que celle que consentent à écrire les colons.

« La négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel, mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde. »
Cheikh Anta Diop, Civilisation et barbarie, Présence Africaine 1981.

Cheikh Anta Diop, qui parallèlement fonde à Paris l’Association des Etudiants Africains, et participe aux réunions politiques où fermentent les idées-pré indépendantistes, se spécialise en physique nucléaire et travaille dans le laboratoire de Frédéric Joliot Curie au Collège de France, publie des articles, puis des essais, sur la question de l’utilisation et du développement des langues africaines, et la politique africaine. En 1953, Cheikh Anta Diop épouse Louise Marie Maes, diplômée d’Études supérieures en Histoire et Géographie.

Sa thèse de doctorat ès Lettres, soutenue en 1954 à la Sorbonne, plus tard publiée sous le titre Nations nègres et Culture, de l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui, fait débat, dérange le jury français…

Même si finalement Cheikh Anta Diop obtiendra son doctorat, il est contesté. En démontrant que la première civilisation que l’Humanité aie connue est négro-africaine, il bouleverse les paramètres historiques et culturels. L’Histoire était à écrire du point de vue de l’Afrique. Quand, en Egypte, la première écriture de l’Humanité, les hiéroglyphes, a été découverte par le français Champollion, Napoléon 1er, qui venait de rétablir l’esclavage, a créé l’académie d’Egyptologie, diffusant pour longtemps l’idée que les Egyptiens et leurs sciences, étaient, évidemment, sémites.

Cheikh Anta Diop, en affirmant que les égyptiens antiques étant négro-africains, l’Afrique Noire était mère de toutes les civilisations, démonte toute un pan du « racisme » colonialisme, et le racisme lui-même. Son doctorat fait débat, mais Nations nègres et Culture, publié par les éditions Présence Africaine, est un succès phénoménal.

« En disant que ce sont les ancêtres des Nègres, qui vivent aujourd’hui principalement en Afrique Noire, qui ont inventé les premiers les mathématiques, l’astronomie, le calendrier, les sciences en général , les arts, la religion, l’agriculture, l’organisation sociale, la médecine, l’écriture, les techniques, l’architecture (...) on ne dit que la modeste et stricte vérité (…). Dès lors le Nègre doit être capable de ressaisir la continuité de son passé historique national , de tirer de celui-ci le bénéfice moral nécessaire pour reconquérir sa place dans le monde moderne, sans verser dans le nazisme à rebours , car la civilisation dont il se réclame eût pu être créée par n’importe quelle race humaine - pour autant que l’on puisse parler d’une race - qui eût été placée dans un berceau aussi favorable, aussi unique ».
Cheikh Anta Diop, Nations Nègres et Culture.

Cheikh Anta Diop au IXe congrès de l’Union Internationale des Sciences Préhistoriques et Protohistoriques (UISPP), Nice, 1976.

De retour à Dakar en 1960, Cheikh Anta Diop fonde un laboratoire de datation par le Carbonne 14, où il travaillera sans relâche, jusqu’à la fin de sa vie en 1986, à prouver ce qu’il avance, poursuivant aussi ses recherches linguistiques sur les langues africaines, particulièrement le wolof. Il trouve des correspondances entre le wolof et l’égyptien ancien qui corroborent sa thèse. T

out en publiant une série d’essais tout autant scientifiques qu’engagés, Cheikh Anta Diop s’affirme comme opposant à Léopold Sédar Senghor dès 1961, avec la création du parti BMS, Bloc des Masses Sénégalaises. Un engagement qui va lui valoir un mois de prison à Djourbel, avant que Léopold Sédar Senghor, constatant sa popularité, lui propose des postes ministériels, qu’il refuse.

« Nous aspirons tous au triomphe de la notion d’espèce humaine dans les esprits et dans les consciences, de sorte que l’histoire particulière de telle ou telle race s’efface devant celle de l’homme tout court. On n’aura plus alors qu’à décrire, en termes généraux qui ne tiendront plus compte des singularités accidentelles devenues sans interêt, les étapes significatives de la conquête : de la civilisation par l’homme, par l’espèce humaine tout entière »
Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres, mythe ou vérité historique ? Présence africaine, 1967, page 280.

En 1966, lors du premier Festival mondial des Arts nègres de Dakar, Cheikh Anta Diop est distingué comme « l’auteur africain qui a exercé le plus d’influence sur le XXe siècle  » . Il participe à des congrès panafricanistes, donne des conférences en Afrique, en occident, travaille avec Théophile Obenga, avec qui il va présenter à des égyptologues du monde entier, au Caire, en 1974, la théorie d’un « peuplement uniforme de la vallée du Nil des origines de l’humanité jusqu’à l’invasion perse ».

Les analogies linguistiques entre des langues ouest africaines et l’égyptien ancien sont un des éléments qui étaye le plus leur thèse, qui va provoquer de longs débats, et ce, jusqu’à présent.

Cheikh Anta Diop poursuit sa lutte politique et crée en 1976 le RND, Rassemblent National Démocratique, et le journal Siggi, qui deviendra Taxaw. On y lit des articles sur la politique intérieur sénégalaise, la politique internationale, des problématiques panafricaines. Le gouvernement promulgue la loi dite de « trois courants » socialistes, libéral et marxistes léninistes, qui oblige tous les partis à s’affilier à un de ces courants. Ce que le RND refuse de faire.

Le bras de fer qui s‘ensuit avec les autorité va durer des années. Cheikh Anta Diop s’affirme comme un véritable défenseur de la démocratie au Sénégal. Le RND ne sera reconnu qu’après la mort de Léopold Sédar Senghor, par son successeur Abdou Diouf, en 1981. Année au cours de laquelle Cheikh Anta Diop publie Civilisation ou Barbarie, Anthropologie sans complaisance, dédié à Alioune Diop, fondateur des éditions Présence Africaine, qui lui vaudra le Grand Prix Scientifique de l’Institut Culturel Africain (ICA).

« Aujourd’hui, chaque peuple, armé de son identité culturelle retrouvée ou renforcée, arrive au seuil de l’ère post-industrielle. Un optimisme africain atavique, mais vigilant, nous incline à souhaiter que toutes les nations se donnent la main pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie. »
Cheikh Anta Diop, Civilisation ou Barbarie (Introduction), Editions Présence Africaine

Membre du comité scientifique international pour la rédaction de l’Histoire générale de l’Afrique, qui comprendra huit volumes, sous la direction de Ahmadou Maktar Mbow, Cheikh Anta Diop commence à enseigner en 1981, comme professeur d’histoire associé à la Faculté ès Lettres et Sciences humaines de Dakar, en maîtrise et DEA. Jusque-là, les portes de l’université lui étaient restées administrativement fermées. Il continue à donner des conférences et à participer à des colloques internationaux et aux Etats Unis, invité par le maire d’Altanta et l’association Martin Luther King en 1985, on l’invite dans les université, et le 4 avril, est proclamé le Dr Cheikh Anta Diop Day…

Décédé à Dakar le 7 février 1986, dans son sommeil, Cheikh Anta Diop a été inhumé à Thietiyhou, où un mausolée en son honneur a été inauguré en 2008. Depuis 1987, l’Université de Dakar porte son nom. Louise-Mae Diop, avec qui il a eu quatre fils, et qui ne s’était jamais remariée, décédée le 4 mars 2016 à Paris, a été inhumée à Thiéthiou aux cotés de son époux.

En septembre 2016, après les célébrations des 30 ans de sa disparition, le gouvernement a décrété la tenue d’un séminaire pour envisager l’intégration au programme scolaire des enseignements de Cheikh Anta Diop.

Laure Malécot. Site web dédié à Cheikh Anta Diop : http://www.cheikhantadiop.net

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  • 011b83be571e1ae28fdf023343f5877a

    Je m’appelle Samba Fall je suis mauritanien et acteur de la société civile je suis disciple du Professeur Cheikh Anta Diop pour rectification de la reconnaissance en 1981 c’est la démission de Senghor mais pas sa mort.
    Je salut au passage la mémoire du professeur Diop qui tenait beaucoup à la restauration de conscience historique de l’Afrique noire mais aussi à son unification pour sa participation collective au rendez vous de l’universel en tant que peuple mais pas en tant qu’un agrégat d’individus sans lien. Nous sommes en devoir de réaliser son rêve en travaillant sur une unité et une identité africaine basée sur nos origines culturelles et ancestrales avant les frontières et limites artificielles imposées en majorité par des facteurs exogènes et impérialistes.

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  • 196220f6fef0afc30d348bd93d155bc0

    Plus qu’un politicien cheikh Anta Diop était un historien, quelqu’un qui à consacré tout sa vie à nous transmettre nos vrais valeurs à découvrir nos origines et à tissé des liens entre la science et la royauté de ses origines africain ????????

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  • 4b2efd937ccf9f30a595786d06f93d6d

    Slt mes frères c’est Karim. Moi je me demande pourquoi nous sous-estimons nos savants comme cheikh ANTA Diop ils méritent d’être apprécier plus que ça. Et pourtant nous le faisons pour d’autres savants étrangers.

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  • a0cf07b0cde232d745f05c9784d5dd99

    Voilà un homme qui a su porter plus haut les valeurs de culture africaine de par sa maitrise de l’histoire de la civilisation africaine.

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  • 53a30c6c3aa4572432907e5b807da63a

    CHEIKH ANTA DIOP, un grand homme qui restera toujours gravé dans nos cœurs☝️☝️☝️

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  • d8586546ae2533b678e336fa7e2e7673

    Je voulais attirer votre attention sur l’erreur commise en citant :« Le RND ne sera reconnu qu’après la mort de Léopold Sédar Senghor, par son successeur Abdou Diouf, en 1981. » Le président Senghor est mort en 2001 et notre fervent panafricaniste en 1986.
    S’il vous plait bien vouloir rectifier cette erreur

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  • e84d6f212b9ca8e2f66c60c7c95e2db6

    Cheick Anta Diop cet homme dont on se lassera de rendre hommage...il est la terre dans laquelle le panafricanisme s’est enraciné, l’incarnation du courage et de la determination nègre. Nous tes petits fils nous continuerons a batir la case dont tu as poser les fondement inch Allah...

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  • 50209afba8fd20ec5158d4fce1051298

    Vigilance. En poursuivant l’œuvre de C.A. Diop, nous devons aussi travailler à démasquer les pseudo-savants (les Fauvelle, Vernus, Tourneux, Froment, Lugan, etc.), qui s’activent dans l’ombre à démolir cette œuvre. Parce qu’il leur manque les compétences, i.e l’expertise requise pour participer utilement au débat. Oscar Pfouma.

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  • 4e8df5a77d98e2702b25fd7f18a47b94

    Bonjour à tous je voudrais faire à tous mes frères africains que le doyen Pr C.A DIOP a voulu faire voir à l’humanité que l’Afrique et l’africain ont joué un grand dans les découvertes scientifiques et techniques. Il est prouvé aujourd’hui que les premiers pharaons Egyptiens sont originaires de la Nubie (actuel Soudan) qui était peuplée de noirs.
    Ces travaux devraient plutôt nous donner des ailes pour aller de l’avant. Voyons bien les histoires de nos ancêtres décrites sur le site pour prendre conscience que des hommes ont osé défier le colon malgré leur faible moyen militaire pour nous éviter l’esclavage et la soumission.
    Retenons juste ce proverbe mandingue « s’inspirer du passé pour faire le présent et construire l’avenir »

    • 4e8df5a77d98e2702b25fd7f18a47b94

      bon soir frère je viens de lire votre texte avec intérêt, je suis de la guinée Conakry je ne cesserai jamais de rendre un heureux hommage à toutes ces grandes personnalités qui ont marqués l’histoire de notre continent

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  • de1b069c159ffa6768fb344c4a616eeb

    un petit commentaire ironique : je trouve que cheikh anta diop n’a pas un type humain bantou...

    d’autre part, on saura un jour si les anciens égyptiens étaient bien noirs, puisqu’il devient possible de savoir la couleur de peau d’un fossile (ou d’un squelette).

    Mais la couleur, ça veut dire quoi ? ceux qui la mettent en avant sont autant dans l’erreur que ceux qui, au XIXème siècle, en faisaient un signe d’infériorité...

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