Après Ciré en 1998 et Ndèye en 2000, « Yakaar » [1] est le premier album international sorti le 23 août dernier par ces talentueux artistes originaires du Fuuta. Entretien avec un trio phénoménal…
Le 221 : Pouvez-vous revenir sur les raisons de votre choix musical dès le début ?
Frères Guissé : En fait, tout début est difficile. Il fallait se perfectionner, pousser la recherche, s’orienter vers l’essentiel. Il était ainsi question pour nous, de trouver une forme de musique que nous épousons, une musique d’écoute, de communion, de dialogue… Et puis, qui dit dialogue, pense à l’Afrique, à l’univers… Donc on cherchait une musique à l’échelle mondiale… C’est ainsi que depuis notre premier album Fama en 1995, nous avons choisi cette voie.
Le 221 : Quel est selon vous la clé de votre succès jusqu’à ce jour ?
C’est peut être dû au choix musical, car avant, on ne voyait l’acoustique qu’à travers la télé. Nos grands étaient en France : Idrissa Diop, Seydina, Ismaïla… Donc l’acoustique, on le vivait de loin et on regardait aussi des clips sud africains, maliens… Avec notre génération, un nouvel élan s’est propagé…
Le 221 : Vous êtes restés longtemps sans sortir d’album. Est-ce dû à une panne d’inspiration, à la peur de la piraterie… ?
Toute chose mérite travail, recherche… On a sorti Fama en 1995, Ciré en 1998 et Ndèye en 2000. L’essentiel pour nous n’était pas de se positionner, mais de participer, d’apporter notre pierre à l’édifice. Pour y arriver, il faut bien travailler car on n’a pas besoin de sortir un produit tout le temps. Rien ne presse ! Et Dieu a fait qu’en 8 ans « Yakaar » faisait son temps. Si vous vous rappelez bien, dans les années 80, on nous disait qu’en 2000, Dakar serait comme Paris. Là on est en 2008, on veut ressembler aux canadiens, aux chinois (éclats de rires pour taquiner votre serviteur), etc… Mais quelque part, le problème de la piraterie y est pour quelque chose…
« Mais quelque part, le problème de la piraterie y est pour quelque chose… »
Le 221 : Après plus de dix ans de carrière et des tournées à travers le monde, c’est seulement maintenant que vous sortez un album international « Yakaar ». Qu’est ce qui explique cela ?
C’est vrai qu’on a tourné longtemps sans avoir d’album international, alors que c’est souvent l’inverse. Il faut un produit sur l’international avant de tourner, mais vous savez, la musique pour nous, c’est une passion. Mais à un certain moment, il faut considérer ça comme un travail. Ça doit être rentable. Au Sénégal, les droits des artistes sont bafoués. Les stations radio, les chaînes de télévision paient quand elles veulent. D’autre part, on devait aussi pousser la réflexion sur les thèmes, car bien qu’on soit pulaar, sénégalais, on est des jeunes du monde et maintenant le monde est devenu un village planétaire… Puisque nous avons choisi la musique acoustique qui n’est pas seulement écoutée par les Sénégalais, il fallait aussi se perfectionner et trouver des partenaires pour que notre produit puisse toucher un large public.
Parlez nous du contenu de cet album « Yakaar » et de sa production ?
C’est grâce à la collaboration avec le groupe, les Têtes Raides, un groupe très connu basé en France. Ils ont apprécié la musique des Frères Guissé et sont venus vers nous. Par l’intermédiaire de ces derniers, on a pu rencontrer le producteur de l’Album « Yakaar ». Lors de l’enregistrement, on s’est retrouvé en campagne pendant une quinzaine de jours à deux reprises. C’était difficile, mais c’est les conditions qu’il fallait pour faire un bon travail. On a parlé d’amour, de l’amitié, des mines anti-personnelles, des enfants réfugiés, on a fait un appel au bon voisinage dans « Baabaabé », les guerres dans « Xeet »…
On constate que vous continuez à évoluer dans un registre folk, acoustique dans un pays où le mbalax est encore roi ? Qu’est ce qui conforte cette option ?
C’est un choix. Le mbalax n’est pas une musique condamnable. Non ! C’est une musique populaire comme la roumba au Zaire… Ça marche parce que les animateurs aiment et bien d’autres. Le plus grand consommateur du mbalax, c’est le sénégalais, alors que la musique acoustique a un public varié. Nous, on a choisi et on garde… Vous savez, la musique c’est comme la femme. Chacun a ses goûts, ki bu xees, ki bu niuul [2] (rires)
Parlant de femmes, ne seriez vous pas féministes, car vos trois premières cassettes sont titrées avec des prénoms de femmes. Pourquoi cette constance ?
(Rires…) Euh… Nous sommes plutôt pour les droits des citoyens. C’est vrai qu’il y a Fama, Ciré et Ndèye, trois femmes certes, mais de classe différente. Ciré c’est la jeune femme d’environ la vingtaine, Fama, la femme abandonnée au moment où elle avait besoin de soutien et Ndèye qui est un hommage à nos mamans. Ces trois femmes représentent trois générations. Et « Yakaar » arrive aussi comme une suite logique. C’est l’espoir vécu par ces trois femmes et, tout un chacun aussi.
Avez-vous un message à l’endroit des populations du Sénégal en cette période de conjoncture ?
« Yakaar », c’est aussi pour dire qu’il ne faut jamais perdre espoir. Car tant qu’il y a vie, on doit garder espoir. On invite aussi l’Etat et les populations elles-mêmes à s’entraider pour soulager les sinistrés des inondations. Nous terminons enfin en demandant aux mélomanes d’acheter notre album car on s’est beaucoup investi pour le réaliser…
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Interview : Youssouf Chinois. Photos : Kamikazz