Michel Renaudeau vit avec ses images une passion forte. Images de la vie qu’il surprend avec ses appareils depuis plus de quarante ans. En Afrique et au Sénégal en particulier, (il a vécu de longues années entre Dakar et Gorée), puis dans le monde entier, au gré de ses reportages ou de ses travaux d’édition. Amateur d’art africain et d’art populaire, il a rassemblé dans sa galerie de Dakar, la première exposition de suwers.
Sénégal, Regards croisés. Guediawaye, dans la banlieue de Dakar, 17 heures. C’est le moment où les ors du couchant font chanter les rouges carmin et les bleus durs, où la brise enfin secoue la demi-torpeur qui envahit hommes et bêtes.
L’heure préférée de Gora Mbengue le plus grand peintre sénégalais de « suwers », peintures sous verre en wolof. Après avoir courbé sa prière à même la natte aux mille couleurs de son atelier de plein air, Gora boit son thé à la menthe glacé et l’âme en paix, purifié, s’installe sur son petit banc. Tandis que sa bouche murmure le magique « Bissimilai » (À la grâce de Dieu) qui précède toute action chez les musulmans et promet le succès, la main, rapide, saisit une plaque de verre posée contre la palissade.
« Cette nuit, j’ai rêvé de tableaux splendides… Des jeunes filles au long cou de roseau, à peau de sapotille et goût de mangue mûre. Des femmes aux boubous rutilants, aux lourds bracelets d’or et aux parures d’ambre, démarche nonchalante dans le froissement des lamés baignés du parfum entêtant de l’encens… »
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Passionné dès le début par cet art populaire, Michel Renaudeau s’est attaché à photographier systématiquement et à recenser tous les suwers qu’il a pu voir au cours de ses vingt années passées au Sénégal. Ces recherches ont fait l’objet d’une première exposition dans son propre atelier, suivie d’un livre aux éditions Nathan (Peinture sous verre du Sénégal par Michel Renaudeau, texte de Michel Strobel, Paris, 1984). Deux autres expositions suivront, l’une au Centre culturel français de Dakar, l’autre au Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren.
C’est en visionnant ces fixés que Michel Renaudeau a été frappé par la ressemblance avec ses propres photos de la vie quotidienne au Sénégal. De là est née l’idée de ce regard croisé.