« M. K avait 13 ans et des rêves de petite fille. Elle voulait devenir médecin pour soigner les autres. Ses parents lui ont annoncé un soir qu’elle était mariée avec un homme de 35 ans qu’elle n’avait quasiment jamais vu. M.K a aujourd’hui 22 ans et trois enfants. Au village, elle trait les vaches, va puiser l’eau, chercher du bois dans la savane et rentre fourbue le soir. Elle se souvient encore de ce qu’on lui a appris à l’école, en CM2, mais ses rêves se sont brisés. »
Ce témoignage n’est pas rare. Une étude de 2004 réalisée au Sénégal [1] montre que le mariage et les grossesses précoces touchent 9 % des filles entre 7 et 14 ans et 13 % en milieu rural. La situation semble n’avoir pas beaucoup changé. Les journaux rendent compte régulièrement de cas de viols ou de mariages forcés « Il y a beaucoup de violences faites aux filles en milieu scolaire parmi lesquelles les violences sexuelles notamment le viol, le harcèlement sexuel, les mariages précoces, la pédophilie, le détournement de mineures », déclarait en 2018 la présidente du Tribunal d’instance de Bambey.
Les causes et conséquences du mariage précoce et forcé
D’après l’ONG Plan international, une fille sur cinq (20 % !) est mariée de force avant ses 18 ans dans les pays en développement. À travers le monde, 650 millions de femmes vivent aujourd’hui en ayant été mariées pendant leur enfance. Ceci s’explique par plusieurs raisons.
Dans les sociétés pratiquant le mariage précoce et forcé, les filles sont mariées jeunes car elles sont considérées comme un poids pour la famille, le mariage permet aux parents d’avoir une bouche en moins à nourrir, de s’enrichir et de créer des alliances stratégiques avec une autre famille. Pour certains, l’honneur d’une famille passe par la virginité féminine : les parents marient leurs filles bien avant qu’elles ne soient prêtes à avoir des relations sexuelles afin d’éviter qu’elles ne tombent enceinte et ne puissent plus être mariées. Selon certaines croyances populaires, les filles mariées ont atteint l’âge adulte et n’ont donc plus besoin d’aller à l’école, la première conséquence de leur mariage est généralement leur déscolarisation.
Les mariages précoces entraînent souvent violences et abus sexuels, ainsi que de gros risques pour la santé des filles : les grossesses précoces sont la première cause de mortalité infantile et maternelle, et les relations sexuelles non protégées les exposent au VIH.
Les mariages précoces maintiennent ainsi les filles dans leur statut inférieur à l’homme et ne leur permettent pas de sortir de la pauvreté. Il s’agit d’une situation injuste et d’un énorme potentiel perdu pour le développement des communautés et des pays.
Un Code de la famille a réviser
Le Code de la famille du Sénégal comprend encore certaines dispositions discriminantes à l’égard des femmes :
- Le mariage ne peut être contracté qu’entre un homme âgé de plus de 18 ans et une femme âgée de plus de 16 ans.
- Le mariage peut être conclu soit sous le régime de la polygamie, auquel cas l’homme ne peut avoir simultanément plus de quatre épouses, soit sous le régime de la limitation de polygamie, soit sous le régime de la monogamie. Faute par l’homme de souscrire l’une des options, le mariage est placé sous le régime de la polygamie.
- Le choix de la résidence du ménage appartient au mari ; la femme est tenue d’y habiter avec lui et il est tenu de l’y recevoir.
- La puissance paternelle sur les enfants légitimes appartient conjointement au père et à la mère. Durant le mariage, elle est exercée par le père en qualité de chef de famille.
Le Sénégal a pourtant signé le Protocole à la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole CADHP, adopté à Maputo le 11 juillet 2003, ratifié en 2004) qui fixe l’âge minimum à 18 ans pour le mariage des filles.
En 2014, le Conseil économique, social et environnement alertait les pouvoirs publics
Un rapport du Conseil économique, social et environnement (CESE) de 2014 [2]
note ainsi « Sur le plan légal, des obstacles entravent la jouissance des droits des femmes sur une base égalitaire avec les hommes. On notera le faible niveau d’harmonisation des textes juridiques nationaux avec les conventions internationales ratifiées, sans réserve, par le Sénégal [...], le besoin de toilettage de certains textes nationaux encore discriminatoires... »Ce rapport est pour l’instant resté lettre morte.
Elles et ils se battent pour que ça change
La situation évolue donc très lentement, malgré les efforts de plusieurs institutions et associations. En voici quelques unes :
- Le Réseau des femmes juristes du Sénégal qui lutte notamment pour l’évolution du droit sénégalais.
- la Fédération des associations féminines du Sénégal (FAFS) qui accompagne des groupements et associations féminines pour le développement d’activités de formation, d’éducation sexuelle et de création de richesses, en vue de l’autonomisation de la femme.
- Le Conseil sénégalais des femmes (COSEF), créé en 1995 pour influencer les projets sociétaux des partis politiques, en vue d’une meilleure prise en compte des droits de la femme dans les lois, politiques sectorielles et programmes.
- Le Laboratoire genre de l’IFAN dont le but est de contribuer par la recherche et la formation à la promotion de l’égalité des sexes et de l’équité de genre.
- Plan international qui travaille au Sénégal depuis 1982 pour promouvoir les droits de l’enfant et l’égalité des filles.
- L’Unicef qui défend la cause des enfants dans le monde.