Quelles sont les tendances architecturales du moment au Sénégal ? Les inspirations ?
Ce que je constate autour de moi, c’est qu’on a abandonné cette recherche sur l’inspiration sahélienne qui a eu cours dans les années 70, début des années 80. Aujourd’hui je vois plus une architecture du style international. C’est-à-dire des bâtiments qui ne sont pas forcément localisés dans notre contexte. C’est surtout des bâtiments qu’on pourrait retrouver à New York, Paris, Amsterdam. Et c’est dommage parce qu’on abandonne une voie qui aurait pu être très enrichissante pour l’architecture sénégalaise.
En quoi aurait-elle pu être enrichissante ?
Une architecture c’est toujours un élément localisé. On utilise des techniques qui sont internationales, mais il y a toujours une localisation en ce sens que l’architecture fait partie d’un contexte. Aujourd’hui je fais partie des gens qui se battent contre l’objet architecture. On nous demande trop souvent de faire un petit objet sans tenir compte du contexte dans lequel on s’insère ; et cet objet est très souvent hors proportion, hors contexte. Il ne tient pas compte des réalités climatiques, et c’est extrêmement dérangeant, en tout cas pour des gens comme moi. Les gens se sont éloignés des matériaux traditionnels historiques.
Quels sont les maux de l’architecture au Sénégal aujourd’hui ?
Il n’y a pas de recherches. Nous avions un centre de recherches sur l’habitat, l’urbanisme, l’architecture qui n’existe plus, et c’est un gros problème. Nous avons monté pour notre part un petit collège d’architecture au point E, qui vient d’avoir son accréditation de l’autorité nationale d’assurance qualité et de l’enseignement supérieur.
Mais c’est surtout que la profession elle-même n’a pas lancé de programme de recherche, pourtant c’est la responsabilité des architectes professionnels de développer une recherche appliquée sur leur métier. Que ce soit du point de vue des matériaux ou de la conception de l’espace… Nous n’avons même plus de discussions sur l’esthétique architecturale, pas de critique architecturale. Et pour un architecte c’est très frustrant parce qu’on fait des bâtiments et on ne sait pas ce que les gens en pensent. Moi je préférais que les gens me disent que mon bâtiment est nul, au moins ça veut dire qu’ils l’ont regardé. Plutôt qu’on ne me dise rien du tout, ce qui veut dire qu’on est passé devant sans le voir ; ce qui est la pire des choses pour un architecte.
Les colons ont appris de notre architecture traditionnelle pour produire l’architecture coloniale
L’isolation dans la construction est inconnue dans la plupart des constructions au Sénégal. Pourquoi ?
C’est parce qu’on ne s’est pas posé la question au moment où on a basculé dans les constructions. Les colons l’ont bien fait eux. Quand ils sont arrivés en Afrique, ils mourraient de chaleur et se sont demandé comment faire pour s’adapter à ce climat. Pour le faire, ils ont appris de l’architecture traditionnelle, et tout ce que vous voyez dans la case diola se retrouve dans l’architecture coloniale. Les vérandas, le fait que l’espace de vie n’est pas exposé directement au rayonnement solaire, la ventilation transversale, etc.
Donc ils ont appris de notre architecture traditionnelle pour produire l’architecture coloniale. Quand nous, nous sommes passés de cette architecture dite coloniale, à l’architecture dite moderne, nous ne nous sommes pas posé ce genre de question. Nous avons prit le verre comme matériau de construction et comme symbole de modernité, et on en a mis partout. Sans poser la question de l’impact du verre sur l’ambiance thermique à l’intérieur de la maison.
Le problème supplémentaire c’est que Dakar est une presqu’île, il n’y a pas beaucoup d’espace, et quand vous avez des terrains de 10/15 qui sont parfois orientés n’importe comment, sans tenir compte des vents et autres, c’est difficile pour un architecte de proposer quelque chose. Cependant, il y a toute une réflexion à développer sur l’isolation, même si les gens ne se posent trop de questions sur le sujet, et se disent ce n’est pas grave, je vais climatiser. Mais tout le monde ne peut pas se payer un climatiseur. C’est donc une question importante et aujourd’hui il y a des recherches qui se font, un excellent travail par le projet typha.
Il y avait aussi un projet conjoint entre Dakar et Abidjan pour réduire les gaz à effets de serre. Mais malheureusement la spécialité du Sénégal, c’est qu’on fait des travaux, ensuite on les enferme dans un tiroir et on en perd la clé.
Quels sont pour vous les meilleurs isolants à utiliser dans la construction disponibles ?
Aujourd’hui on a beaucoup d’isolations différentes. Il y a les matériaux industriels (le polystyrène, la laine de verre, la laine de roche), avec cette difficulté que nous ne produisons pas le polystyrène, donc nous l’importons. Et quand un architecte travaille, il doit aussi se poser la question de l’impact de ce travail au niveau macro économique. C’est pour ça que nous, nous avons été très intéressés par le projet typha (un matériau végétal qui en principe a une excellente isolation thermique) et la possibilité de produire de plaquettes isolantes en typha. Malheureusement, on est resté à la possibilité, car on n’a pas de production industrielle actuellement.
Dans le cadre des recherches qu’on mène au niveau du cabinet, nous avons proposé autre chose qui est de fabriquer des briques directement en typha. Je me suis présenté comme cobaye sur un petit terrain que je possède et nous allons commencer bientôt une petite construction entièrement en briques de typha. Il nous reste juste à déterminer le comportement du matériau en cas de sinistre. Nous avons des idées, mais il nous faut un laboratoire qui puisse tester ces idées en termes de revêtement, de protection, de compression, parce que si on comprime et qu’on expulse totalement l’oxygène, on n’aura pas de combustion. Dès que nous aurons pu faire les tests nécessaires, nous espérons d’ici la fin de l’année commencer cette construction entièrement en briques de typha.
« Ce qui pousse les gens à construire en hauteur, c’est essentiellement la spéculation, sans se soucier de la sécurité »
Quel avenir pour les bâtiments à plusieurs étages que l’on peut voir sortir de partout et qui semble devenir le logement type du Dakarois ?
C’est devenu le logement type à Dakar parce que dans une presqu’île, l’une des denrées les plus rares, c’est la disponibilité foncière. Il y a une grosse demande en logements et donc la solution est de construire en hauteur. Et c’est toujours là la difficulté des architectes parce que pour nous, construire en hauteur, c’est juste une stratégie. Mais la stratégie ne donne pas des indications sur la qualité du produit finale.
Nous construisons en hauteur, mais est ce qu’au niveau macro, on s’est posé la question de la capacité de nos brigades de sapeurs pompiers à intervenir en hauteur ? Il y a de nombreux immeubles qui sont sur 3 ou 4 étages où il n’y a qu’un seul escalier qui fait 90cm de large. Qu’est ce qui va se passer en cas de sinistre ? Donc construire en hauteur c’est une chose, mais l’objectif c’est de bien construire. Mais malheureusement, nous n’avons pas encore atteint ce stade. Aujourd’hui ce qui pousse les gens à construire en hauteur, c’est essentiellement la spéculation, sans se soucier de la sécurité, de la ventilation, etc.
C’est aussi le cas de Diamniadio ?
Le cas de Diamniadio est particulier car il y a une option d’aménagement qui a été prise assez tôt d’en faire une ville en hauteur. Il s’y ajoute qu’à Diamniadio, n’oubliez pas que les terrains pris pour construire la ville nouvelle sont des terrains agricoles. Donc c’est un très mauvais sol à construction, et pour le faire, les fondations coûtent extrêmement chères. Si vous avez plusieurs étages, vous les amortissez plus facilement que si vous avez une seule villa.
Aujourd’hui le sport national c’est de tricher avec la réglementation
Que pensez-vous de l’urbanisme actuel ?
Il y a deux choses. Il y a les documents de l’urbanisme et l’application de ces documents sur le terrain. Au Sénégal, on sait sortir les plans d’urbanisme, de détails, de lotissement, etc. Mais on pèche à ce niveau qu’au ministère de l’urbanisme nous n’avons plus suffisamment d’architectes (il reste 3 ou 4 architectes dans toute l’administration sénégalaise). Une ville comme Praia, la capitale du Cap-Vert, qui est une toute petite ville, a 25 architectes dans son bureau technique. Au Cap-Vert, il y a 250 architectes, pour 500 000 habitants. Au Sénégal, on est moins de 170, pour 15 millions d’habitants, c’est triste. Depuis la fermeture de l’école d’architecture de Dakar, on n’a pas trop pensé à la relève et à perpétuer ce métier.
La deuxième chose c’est que lorsqu’on a fait les plans, comment on les applique ? Dans une capitale où par exemple vous avez une petite rue à sens unique qui débouche sur le stade, et que tout le monde prend en sens interdit alors que juste à l’angle il y a la mairie et que personne ne dit rien. Il faut comprendre qu’appliquer un règlement dans une telle situation c’est vraiment difficile. Et aujourd’hui le sport national c’est de tricher avec la réglementation, et pratiquement tout le monde le fait. Là où c’est prévu 3 étages, on en fait 4 ou 5, et après on s’arrange. Là où il n’est pas prévu de construire, on voit les gens construire.
Regardez l’occupation de la corniche actuellement. Regardez les gens qui s’attaquent aux bandes de filaos vers les parcelles assainies, en oubliant que ce sont les filaos qui stabilisent les dunes, et donc qui permettent de lutter contre l’avancer de la mer. Ainsi de suite. On est dans une situation où je pense que les sénégalais sont devenus très égotiques et la chose la plus important c’est ce qu’ils veulent eux tout de suite, sans penser aux conséquences futures ni aux autres. Mais à un moment donné, il faut arrêter le masla sinon nous n’allons pas nous en sortir. Il faut prendre des bulldozers et raser un certain nombre de choses.
Collège universitaire d’architecture : plus qu’une école, un héritage professionnel
Après la fermeture de l’école d’architecture de Dakar en 1997 et le vide qui se fait ressentir dans la profession, Jean-Charles Tall et deux de ses collègues (Annie Jouga et Mouhamadou Nabi Kane) ont l’idée de monter une école professionnelle et participer à la formation des jeunes « L’idée est venue d’une réflexion de savoir ce que deviendra notre métier, vu qu’il n’y avait plus de centre de formation à Dakar, mais surtout qu’est ce que nous allions laisser comme testament professionnel. »
Depuis 2008, l’école a déjà accueilli plus de 100 licenciés, près de 150 techniciens supérieurs et les deux premiers diplômés en master l’année dernière.
Contact
Mamadou Jean-Charles Tall
Rond point Jet d’eau, immeuble A, Suite 38
Tel : 33 864 69 83
architech gmail.com
23 avril 2023 à 15:19, par M-Christine Giordani
La case à impluvium est une architecture diola. Je vais vivre en Casamance et j’aimerai construire ce genre de maison où il fait bon vivre.
Où puis-je trouver en Casamance (et non à Dakar) les architectes habilités pour ce genre de construction ?
Merci.
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19 juin 2020 à 12:00, par Yan ORANGO FIOCCA
Excellent article ! Merci pour ce délice d’infos. Le soucis est partagé en ce sens que les préoccupations sont les mêmes aussi pour le Gabon. Faut-il continuer aveuglement de suivre les normes étrangères et ou commencer à réfléchir sérieusement sur nos propres techniques pour une vraie identité de l’architecture africaine tenant compte de nos contextes et de nos réalités ?
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11 octobre 2017 à 15:10, par Khady BA
Bonjour,
Mon fils veut devenir architecte depuis qu’il est tout petit. Pouvez-vous me dire comment accéder à cette école, et quelles sont les accréditations etc... Les filières à privilégier pour le Bac.
Cordialement
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3 octobre 2017 à 17:18, par Marie Ba
Il nous faut une révolution architecturale simplement. Toutes nos créations n’ont rien d’africain, de la coiffure à l’architecture. Ce sont les maux de l’Afrique, nous n’avons plus d’identité,même pas celle être noir. Mes frères vont très mal
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