Salle bondée et public survolté : le show pouvait débuter. Il démarra à 21h34 très exactement, avec W Dee - mc de la soirée – naissant littéralement du plancher de la scène. Le ton était donné. Juché dans son box en apesanteur et chargé des festivités auditives, dj Gass surplombait le tout tel un ange destroy, shootant la salle avec des décibels propres à ring your bells. Rap in town…
Invités et artistes se succédèrent sur scène dans un ballet orchestré. Le public eut droit à de la danse, du rap et de la zik toute mignonne avec Abiba qui rendait hommage à son papa qu’elle « aime » sans compter les ladies du rap Mamy Victory et OMG qui enflammèrent le stage : show. Le déroulé des prestations fut entrecoupé de cyphers testostéronés au cours desquels de jeunes talents pouvaient laisser libre cours à leur dextérité vocale.
Ouolof, français, anglais et f… word
Au Sénégal, le trio de langues usitées par les lyricists hip hop est en premier lieu le ouolof, vient le français, puis l’anglais, langue du genre par excellence. De la part des artistes présents en chair et en os et en mots, nul pensum du style « ta mère en short dans la cuisine de mon crew, boo » mais un « fuck you too » d’un rappeur inspiré, hôte d’un cypher.
Old School Baby
Un autre cypher spécial old school fut dûment ovationné. Des hommages furent rendus à ceux qui ont défriché le chemin à la jeune génération : les rappeurs des premières heures. En ce sens, des trophées de « reconnaissance » furent décernés. Et qui entre autre, étoilèrent le groupe Pee Froiss représenté par Xuman. A cette occasion, l’on apprit que le lycée Delafosse ne conduit par forcement dans la fosse mais aussi sur le devant de la scène. A en juger par la carrière de Xuman qui y pratiquait l’école buissonnière à l’exception de deux matières : français et l’histoire géographie dixit W Dee issu, du même établissement. Rajoutons que les maths ne sont pas à négliger, histoire de pouvoir compter son (Kiss Kiss) Khaliss .
Rap Feat Mbalakh : Cash Money Honey ?
Gros sous comme climax du speech de Bouba Ndour de la Tfm et frère de son frère. Invité à remettre un prix, il déclara ne pas avoir vu de rappeurs gagner des centaines de millions, par conséquent ces derniers gagneraient à faire des featuring sous entendu avec des genres plus éclectiques et populaires. En même temps, penser les millions en tant que finalité première du rap…
Moment « Wow »
L’apparition de l’actrice Belle Laure qu’il faudrait rebaptiser Belle L’Or tant elle a cristallisé la ferveur du public, les mâles en tête. Gageons que si elle se présentait à la présidentielle, avec la proportion d’hommes au Sénégal, elle obtiendrait un score plus honorable que l’idem adjectif accolé aux députés, pas tous « honorables » d’ailleurs.
Daara J : Dara ??
A ceux toujours pas revenus du fait qu’au lieu de celui de Daara J, la vidéo du meilleur clip puisse échoir à l’ultimate bling du clip de Canabasse, l’histoire démontre qu’en période difficile, les gens se tournent majoritairement vers ce qui les fait rêver et oublier leur quotidien. Oui bon, jusqu’au jour où ils se mettent en tête de tout casser.
Séquences Emotion
L’hommage au défunt dj Makthar fut particulièrement poignant. Que dire des larmes de Matador venu recevoir un prix et qui déclara que pour lui son trophée valait autant que des milliards. Matador est un messie : même ne comprenant rien au ouolof, à l’écouter et le voir rapper, l’on se retrouve happé dans une expérience relevant de la transcendance métaphysique. Artiste humble, sincère et habité, il demeure roi en son château.
The Message
L’Afrique émerge tel un continent joyau riche en possibilités. Dans la lignée des Ateliers de la Pensée de Felwine Sarr et Compagnie statuant que « l’Avenir du monde se jouera en Afrique », les rappeurs donnent dans le positive thinking quant à la terre noire.
Il y a peu, les jeunes Sénégalais ne voyaient leur avenir au sein de leur patrie à la téranga sélective. Aspirants aventuriers, la partance était le projet. La donne a changé.
Révolution Copernicienne
Au même titre que l’association rap et excellence entre autre symbolisée par le discours de mr Guirassy - ancien ministre de la communication et fondateur de l’IAM (école d’excellence)- qui relia le hip hop à l’audace, l’entreprenariat, l’originalité etc sans oublier l’impact dans la sphère économique et politique.
Ces changements de paradigmes sont une déflagration dans l’imaginaire populaire. Ce Sénégal dépoussiéré se pense enfin comme un lieu où sa jeunesse peut s’épanouir et se réaliser, ce Sénégal ci réfléchit non contre sa jeunesse – considérée comme ignorante par essence- mais avec elle, en prenant en considération les dires et aspirations de celle –ci. Ce repositionnement des forces, c’est le rap qui l’a et provoqué et décrété.
Jean Pierre Senghor, dg du Programme des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC) dans son adresse à la jeunesse sénégalaise : « … soyez fiers de ce que vous êtes, le Sénégal vous appartient ».
Une jeunesse sénégalaise consciente, fière et en marche. Qui, l’espace d’un moment, peut embrasser le mode ego trip pour, poser un « who gonna stop me huh »justifié.
Donc …
Au Sénégal le rap n’est plus qu’une musique enclavée, résultant d’une sous culture propre aux cités périphériques.
Les plus anciens détenteurs du micro fâché l’ont initié. La génération intermédiaire l’a poussé plus avant. L’avant dernière l’a imposé comme acteur majeur de la vie de la cité. Souhaitons à la présente génération de creuser plus avant le sillon vertueux sans lui faire perdre son âme critique. De fait, la légende du senegalese hip hop ne fait que commencer.
J’insulte donc je suis
Peut-être éviter les insultes ciblant le genre féminin en particulier : sœur, mère, cousine, copine, grand-mère, ancêtre Lucie et plus loin, Eve, aïeule et accessoirement The « bitch » originelle... En un rap africain collectant le meilleur du rap us, french etc mais délaissant le pire de ces sociétés dites « évoluées ».
Les clashs entre rappeurs font partie du rap game mais quid des insultes sexistes ? Le hip hop ne relève pas du cogito hardcore « je t’insulte donc je suis ». Issu de souffrances, il est de par ses origines même porteur de revendications nobles et devrait se dessiner plus auguste que d’aucuns l’éructent. Les insultes visant la famille sont, en terre de canicule et de feu, culturellement inappropriées. En optant pour des lyrics faisant abstraction des dérives sus citées, le hip hop africain pourrait devenir un cas d’école et influencer d’autres continents. L’exemple dans ce domaine précis peut provenir d’Afrique.
« Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, nous avons maintenant à le transformer » Karl*dixit. Le hip hop peut être un outil de transmutation de ce réel vicié que sont les sociétés malades aux mentalités sclérosées. Il l’a brillamment démontré par la passé. Il le peut encore démontrer.
Les lauréats
- Best album solo : Books pour Dara dou douy
- Best vidéo : Canabasse Damakoy Doundou
- Best album group : Jah Me Rue pour Consensus
- Best mix tape : Karballah pour Main levée
- Best lyricist : Gaston pour l’album Alhamdoulilah
- Best beat maker : Xoumaker
- Best artiste féminine : Mamy Victory
- Best artiste masculin : Dip Doundou Guiss
- Best featuring : Moulaye feat PPS pour Tathioul